Dans l’or du temps de Claudie Gallay Edition J'ai Lu prix
7,10 euros.
Résumé . Un été en Normandie. Pris dans les rets d'une vie
de famille étouffante, le narrateur rencontre une vieille dame singulière,
Alice. Entre cet homme taciturne et cette femme trop longtemps silencieuse se
noue une relation puissante, au fil des récits que fait Alice de sa jeunesse,
dans le sillage des surréalistes et dans la mémoire de la tribu indienne Hopi.
La vie du narrateur sera bouleversée devant " la misère, la beauté, tout
cela intimement lié ".
Quelques mots sur ma lecture
Une histoire assez rébarbative qui petit à petit prend
tout son sens lors que l'on entre dans cette partie intime des souvenirs
personnels étouffés par le temps. C’est une sorte d'approche de la pensée
humaine, un peu borderline, un huit clos entre une vieille dame et un homme
encore jeune qui à part ses visites à l'extérieur auprès de la
vieille dame passe tristement ses vacances en Normandie en famille
" La téméraire " c'est le nom de leur maison où vivent ses deux
fillettes et Anna sa femme, le couple est en voie de séparation. L'homme, le
narrateur, un taiseux morose en pleine crise existentielle traîne ses pas comme
on traîne des boulets. Par hasard il rencontre donc une vieille dame, Alice, et
il l'aide à porter ses courses jusqu'à chez elle. Une maison de famille où elle
vit avec Clémence sa sœur, silencieuse et sombre, leur père s'est noyé un jour
de grande marée, leur mère est morte. Durant des jours de non-dits et d'arrêts
sur images que l'on se fait de lui et d'elle, l'homme erre d'un point à l'autre
c'est-à-dire de sa maison devant la mer où il laisse Anna sa femme et ses deux
filles vivre leur vie à chez Alice où les conversations sont rares, chaque mot
pèse une tonne et c'est curieux comme j'ai ressenti une sorte d'indifférence
silencieuse évoluant au fil des pages en attention aigre-douce énigmatique et
improbable. Il a besoin de parler mais ce qu'il dit a si peu d'intérêt
parfois pour elle. Un jour elle lui dit : Vous parlez sans savoir... Il
faudrait penser à donner un peu d'épaisseur à votre vie... elle ? elle a besoin
de parler mais là ça ne vient pas alors elle parlera plus tard bien plus tard,
avant il faut savourer et se perdre dans l'analyse de chaque seconde du temps
qui passe entre ces deux inconnus qui doivent absolument, dit-elle, rester des
inconnus.
En tant que lectrice, j'ai manqué d'air, de mouvements, je
me serais presque lassée de ce duo d'infortune, neutre et éveillé par les
passages feutrés et muets de Clémence, Voltaire le chat ou cet enfant
furtif dans le jardin, qu'on pourrait penser être un fantôme. Un fantôme parmi
les ombres lourdes d'un passé étouffé et d'un présent confus, oui je me serais
lassée si ma lecture n'avait été éveillée soudain par l'intérêt croissant
procurée par l'histoire de la tribu des Hopis, ah lever le voile sur certaines
de leurs mystérieuses traditions m'a fait du bien et l'histoire de Otto... Les
Hopis vivent dans le nord-est- de l'Arizona qui a été envahi par les touristes,
les touristes Dieu sait le mal qu'ils font partout, Alice et Clémence étaient
enfants là-bas. Alice garde chez elle un masque de cérémonie parmi d'autres,
une clé, la clé d'un terrible secret.
C'est un livre étonnant. On se prend la tête à chercher le
but que chacun voudrait atteindre puis Claudie Gallay dénoue pour nous mais
petit à petit les nœuds mouillés qu'on a tant de mal à défaire nous-même, alors
seulement tout devient clair. La fin résume tout, je trouve. La fin m'a fait
fermer le livre, pensive.
Extraits
Page 72 ... Un long moment elle est restée comme ça. A
regarder dehors. Pâle soudain. Un peu de sueur coulait à ses tempes. - Vous
voulez vous reposer ? j'ai demandé. Elle a eu un geste. De cette main qui était
posée sur l'accoudoir. - Ne soyez pas comme cela. Pas vous. Et puis elle a
ajouté : - Pas entre vous et moi. - Je ne comprends pas... - Vous êtes
condescendant. - Je ne crois pas. - Mais si vous l'êtes... Votre apitoiement...
Je devrais vous chasser. - Pourquoi vous ne le faites pas ? Elle a eu un rire nerveux.
Presque amer. - Je n'ai pas le choix. - On a toujours le choix. - Qu'est-ce que
vous en savez ?
Sa voix, tellement grave. Elle a passé sa main sur son
visage, plusieurs fois. La sueur sur ses doigts. Elle a tiré un mouchoir de sa
poche. Elle s'est essuyé le front. Les lèvres. Le mouchoir sentait fort. Un
parfum. La lavande. Je me suis levé. - Où allez-vous ? - Chercher Clémence.
Elle a attrapé mon poignet. Ses doigts glacés, resserrés. Comme un étau. - Vous
n'allez chercher personne. - Vous êtes tellement pâle. - C'est ce café, il est
imbuvable.
J'ai ouvert l'un des battants de la fenêtre. L'air frais du
dehors est entré. Elle a respiré plusieurs fois. Profondément. - Le corps n'y
est pour rien, rassurez-vous. C'est seulement l'esprit qui résiste.
Apportez-moi plutôt un verre de ce petit alcool dont vous allez trouver la
bouteille là, dans le placard. Ne faites pas de bruit en ouvrant la porte. Du
doigt, elle m'a montré le jardin. - Clémence interdit cela. Elle ne jure que
par les pilules de ce bon vieux docteur...
Page 198 ... On a parlé de là-bas. - Je me souviens... Dans
les ruelles, les mules assoiffées se frottaient le ventre contre les murs.
Elles tapaient du sabot pour faire partir les nuées de mouches qui leur
piquaient les yeux. Les yeux mouillés des mules. Les yeux trachomes des
vieux... On a parlé d'ici. Et de là-bas encore. On revenait toujours à là-bas.
- La couleur rouge de la peau de ces hommes. Le regard des femmes. La couleur
des arcs. Des plumes. Le son des calebasses avec lesquelles les enfants
jouaient. Je me souviens de l'odeur du soir...
Page 250 ... Les masques portent en eux l'esprit du peuple hopi. Voler un masque, c'est toucher à cette part-là plus précieuse...
“On traumatise par le silence, on traumatise par le non-dit
beaucoup plus que par le dit.” C'est de Françoise Dolto dans La difficulté de
vivre.
A lire parce que étonnant !
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