mercredi 22 octobre 2025

Le soleil colonial de Maïa Alonso

 Une page de notre Histoire livrée parfois douloureusement mais toujours fièrement par Maïa Alonso dans ce magnifique ouvrage à conseiller à la jeune génération pour qu'ainsi se perpétue la mémoire de ces pionniers qu'on a si mal traités.

Le soleil colonial Au Royaume des cailloux de Maïa ALONSO

Roman de Maïa Alonso – Edition Atlantis - Collection France-Algérie.

Ce magnifique ouvrage vient de recevoir le Prix des Lecteurs 2014 de la Librairie Pied-Noir

Prix Terre d'Eghriss/L'autre rive de l’association de Thiersville, présidée par Lucien Cano , vice-président Jean-Félix Vallat

 Le soleil colonial Au Royaume des cailloux de Maïa ALONSO

Citation de Maïa ALONSO en avant-propos  : " Moi qui suis petite-fille et fille de colons, fière de leur travail, j'ai voulu témoigner de la grandeur de ces femmes et de ces hommes que j'ai vus à la peine pour fertiliser une terre sauvage et souvent hostile. Une terre qu'ils ont passionnément aimée. Ce livre se veut aussi un hommage à la fraternité qui régnait en Algérie, un fait oublié de l'histoire officielle ".

Un ouvrage qu'il faut avoir dans sa bibliothèque. Après lecture, je suis certaine qu'il répond à un intérêt public bien qu'il y retrace la vie romancée des ancêtres de l'Auteure :  un couple d'Espagnols immigrés en terre Africaine, cet ouvrage relate également leur long cheminement jonché de difficultés surmontées à force d'acharnement, rien n'est simple sur une terre nouvelle, sur un sol aride tel que celui-ci. Maïa ALONSO raconte avec passion et amour le début de cette lignée dont elle est si fière d'appartenir.

Elle nous entraîne à travers les âges et cela dès 1870, année cruciale pour José-Luis Vega Ramos qui quitte le port de Carthagène sur une balancelle entraînant avec lui sa jeune épouse Maria-Luz Vega Garcia âgée de 17 ans déçue mais contrainte de par la tradition de son pays d'origine de suivre le mauvais parti qu'on lui a imposé. Ils vont avec toutes les difficultés que l'on peut imaginer (si on lit bien) échapper au statut de "déserteur" en immigrant vers la côte Nord-Africaine dont le sol déjà français depuis 1830 et dont les autorités se satisfont de cet afflux de main-d’œuvre nombreuse, courageuse, jeune, bon marché et pleine d'espoir pour leur propre avenir. Le départ est difficile, la traversée pénible et l'arrivée épouvantable.

Page 26 : Les ibères étaient habitués à s'échiner le cuir sur une terre ingrate. Le sol Africain ne changeait pas leurs habitudes, contrairement aux Français de France, comme très vite on appela les arrivants de la métropole, France maîtresse souveraine des nouveaux territoires convertis en départements...

Cependant que Maria-Luz (voilette baissée traduisant son refus de céder à son époux) constate au fil des mois qui passent que finalement elle n'est pas si mal mariée et que son époux s'il s'est enfui ruiné, est doté d'un immense courage au labeur et d'une belle honnêté. C'est elle, qui va donc décider de l'avenir de la famille, de leur lignée sur les caillasses d'Afrique.

Page 31 : Elle s'accroupit et rassembla une poignée de terre dont elle fit rouler les grains d'une main à l'autre, puise se redressant, altière et menaçante, clama dans la nuit d'encre parsemée d'étoiles si proches qu'on aurait cru pouvoir les saisir en tendant les doigts : - toi, Piel Roja la Barbare, je suis Maria-Luz Vega y Garcia ! Regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu ne me trahiras jamais :

Tu as traîné dans bien des lits mais as-tu aimé tes conquérants ? Tu fais la soumise mais je te sens rebelle. Toi et moi, on est de taille à faire front, chacune à sa façon. Regarde-moi je te dis : C'est moi, la farouche Maria ! J'ai ôté ma mantille et ouvert mon cœur au conquérant qui va engendrer par moi et par toi notre descendance... Lentement elle renversa son visage vers le ciel pris à témoin et fit glisser à la régalade la terre rouge dans sa bouche. Changée en sang, la terre se répandit dans les entrailles de la femme et lui répondit :
- Moi l'Infidèle qu'aucun pacte n'attache, je te salue, hija ! je salue ta hargne et ta fierté, mais je te le dis, entre toi et moi, ce sera jour après jour une lutte sans merci... Elles se jaugèrent longuement, le silence revenu. Puis Maria-Luz retourna se coucher auprès de son homme.

La famille prospère (Miguel ou Michel, les jumeaux, Manuel, Nicolas, Filomena puis plus tard la petite Pauline en 1885 (deux fillettes très différentes une petite blonde réservée et une brunette sauvageonne - ... ses amis étaient les garçons du faubourg Isidore où ils vivaient, jeunes Arabes ou fils d’Européens. .) d'Oran où ils s'étaient installés... Départ pour Mascara où ils travaillèrent toujours la terre en Seigneurs, oui, en Seigneurs des Cailloux !

Page 65 - Courageusement, ils avaient arraché les cailloux et les lentisques de la terre, pour ensuite implanter de nouvelles vignes qui se plaisaient dans ce sol. On disait des colons qu'ils étaient les nouveaux seigneurs du pays. - Des seigneurs ? Mon Dieu, oui mais des seigneurs avec pour royaume des hectares de cailloux ! Et je n'en vois pas la fin ! répliquait le père de Léonard Nogaret avec un humour mâtiné d'amertume. Souvent par la suite, José rappela cette réflexion à ses fils et sa petite-fille, Marie-Sahara, adopta l'expression, appelant son père et ses oncles les Seigneurs des cailloux.

Et l'histoire continue son rythme bienheureux, son rythme douloureux parfois. La petite Filomena est emportée par la fièvre des marais... Pauline qui se marie et épouse José Rubia de 7 ans son aîné., mariage imposé car c'est toujours la tradition, ils auront Jeanne et deux garçons Page 60 : Depuis que la filomena n'est plus c'est toi notre seul trésor, notre Mahia, notre Eau de Vie. Page 61 : Le Padre Juan qui les avait mariés ne lui avait-pas dit : - Fais des enfants, Pauline. N'imite pas les Français ou les Italiens. N'oublie jamais que tu es Française seulement sur le papier. Pour toujours tu es Espagnole. Pauline s'était surprise, en écho, à penser : - Je suis Algérienne, Padre...

José Rubia Page.65 José avait grandi dans la poussière de la caillasse, rêvant de terre à défricher, non pour y inscrire des routes à son tour mais plutôt des sillons à faire reculer le désert du bled....

Page.67 : En ces débuts de la colonisation, dans la pratique, l'établissement des colons espagnols étaient confié à des capitalistes français mais les Espagnols désireux de devenir propriétaires terriens se voyaient freinés soit par des interdictions formelles, soit par la complexité des formalités administratives, soit encore par l'obligation de posséder un capital qu'ils venaient précisément chercher en Algérie.

Page.74 : La situation des premiers colons était complexe. Outre la dureté du travail de la terre -il avait fallu en arracher des jujubiers épineux et des lentisques aux racines noueuses ! - des imbroglios sans fin et des contestations compliquaient leur vie, tant vis-à-vis de l'administration que des coutumes ancestrales des Musulmans. Dans les premières années de la conquête, les transactions entre Arabo-Berbères et Européens entraînèrent de nombreux litiges... Puis José Rubia se fera naturaliser. Le temps passe vite et Maria-Luz a un rendez-vous qu'elle ne peut manquer.

Pour que la vie continue, il faut encore et toujours plus d'eau, indispensable aux cultures et José va faire ce qu'il faut et Pauline va y croire et ils auront confiance et ils réussiront Milagro ! Miracle ! Bismillah ! Grâce à Dieu !
J'ai retenu cette phrase :

Page 89 : - L'Algérie, c'est nos ancêtres, du moins ceux des gens qui sont ici, qui l'ont entièrement construite pierre par pierre, arpent par arpent, dans le sang et la sueur, et ces gens que vous insultez de votre mépris pitoyable poursuivent cette œuvre dans la dignité. Ils méritent votre respect monsieur !

Jeanne en grandissant et après bien des difficultés va enfin épouser son Pierre parti en Alsace en 44 et puis la petite Marie nous vient... Marie Sahara Grain de sable – notre fameux Grain de bled ! Pour que l'Odyssée aille à son terme.

Page 103 : La guerre de France n'avait pas voulu de Pierre-Ange. Mais celle d'Algérie survenant en 1954 bien trop tôt pour laisser sa chance à une identité Algérienne de se forger, ferait-elle également la dédaigneuse ?


Pauline et José vont aller à Alger pour la première fois. Besoin de matériaux là-bas ils en trouveront.

Aïn-Béranis, juillet 1955 notre petite Marie-Sahara joue dans les cailloux, elle joue avec Syrâd... - Tiens ! C'est pour toi, un trésor ...- Tiens, Myriem-Sah'ra... Elle capitula, fit volte-face, salua en ployant légèrement le genou : - Oui, Sidi Syrâd ! Il se rembrunit : - Arrête, Oukh'ti ! On ne joue plus. Je suis sérieux. Je suis Rachid l'Arabe et pas ton Syrâd le Berbère. Pfffft... ! Ce jeu de Marie-Sahara le hérissait, surtout depuis le début des évènements. Il était Arabe, pas Berbère....

Page 132 Marie-Sahara ne s'apercevait de rien. Elle avait huit ans. Elle n'imaginait même pas que son univers puisse éclater et être promis à la même destinée tragique qui broya la Kahena...

Je dois préciser que toutes ces pages des " enfants du bled " sont mes préférées, parce que j'y sens tant d'amitié sincère, de fraternité, d'innocence, ces gosses-là sont comme tous ceux de leur âge si désireux de vivre en paix, ils ne voient entre eux aucune différence. Marie-Sahara ce petit bout de femme est notre Grain de Bled

Page143 à 145  Ce jour-là, c'était le jour des femmes. Elles arrivaient de la Khaïma, voilées, soumises à leur vieille duègne, Yaminah, qui distribuait les consignes en aboyant sans tendresse.......

- Le Hanna, tu comprends, Guapa, il est recommandé par le Prophète, Salla L-Lâhu halayhi wa sallam, c'est une plante bénie qui te protège du mal de ojo et de tout ce qui est mauvais... ça calme les bouffées de chaleur, la migraine... Je te dis, c'est bon pour tout ! On le prépare nous-mêmes, les femmes. Il faut moudre la plante. Après, avec de l'eau chaude tu fais une pâte et tu l'étales sur les cheveux...
Oh, comme Marie-Sahara aimait le jour du henné ! Jour de fête. Les enfants étaient libres, les hommes aussi. Chacun y trouvait son compte...

Il y avait Yaminah Page 143 : Seule Yamina avait le courage d'affronter Ma'Guapa. Elle en avait le droit par les liens de lait, aussi forts que ceux du sang. Le lait, c'est le sang de l'amour des femmes qui donnent la vie. Les hommes bouillonnent et fracassent tandis que les femmes tiennent les rênes : elles veulent le bonheur autour d'elles.  Marie-Sahara aimait ces femmes qui l'entouraient comme une muraille charnelle, si douce, protectrice, rayonnant l'amour, souffle imperceptible de vie vrillé aux entrailles... Cette chaleur toute particulière faite de sourires, de murmures gourmands, de mouvements incessants, de bras qui enlacent, de mains qui caressent ou qui rudoient – cela pouvait arriver, cela faisait partie des jeux de l'amour. Mais sur cette terre bénie, on oubliait le plus souvent les enfants ; on les laissait pousser sous le regard de Dieu ou d'Allah dans une même confiance…. Page141 : Tous les Arabes sont nos amis, ici. On se connaît depuis toujours. Le Chitan ne mettra pas ses pieds fourchus chez nous !

Mais, mais la guerre est bien là. Les méfiances se voient dans certains regards. De temps en temps des déflagrations effrayaient les enfants dans leur classe.

La vie se déglingue, malgré tous les espoirs, tous les efforts...

Page 159 Pour Marie-Sahara, les évènements, cela signifiait qu'ils étaient tous en grand danger... C'est le temps des méfiances, des séparations, des crimes, des attentats, des horreurs. Il faut faire les valises.  On prie pour que Dieu et Allah les épargnent tous dans cette tourmente…. Mais c'est fini c'est la guerre qui fait des ravages. Jeanne et Angelo en subiront les conséquences et la petite Mielou si fragile marquée à vie, aura le mot de la fin de cet ouvrage magnifique - tout comme Maria-Luz... - C'est la terre de nos enfants à naître dira-t-elle en arrivant sur le sol de France... ouvrage où l'on sent le désespoir infini à boucler des valises où l'on ne trouve rien à mettre parce qu'une vie ça n'est pas, des "affaires" à entasser. L'Algérie sera devenue indépendante mais à quel prix. Où est-donc passé le petit Rachid ? Yaminah ? Où sont nos amis où sont nos frères ? le calme après la tempête ne rendra pas le sourire à cette famille dont les "anciens" étaient venus chercher l'Eldorado ici plein de courage et sans haine.

Mais ils reconstruiront ailleurs ces Seigneurs ! ils trouveront un autre Royaume des cailloux car l'espoir s'est bien connu déclenche toujours des miracles !

Il est dans la vie des familles ou d'un pays des périodes qui blessent les mémoires et qui n'arrivent pas à cicatriser. Il est très dur d'évoquer ces époques car on n'a pas les mots pour exprimer l'horreur, la déception ou le chagrin. Beaucoup sont à jamais marqués dans leur chair. Que cela se sache, partagez les souvenirs, informez la génération qui nous vient afin que jamais personne n'oublie ces années terribles de notre Histoire à tous.

"Lorsqu'un seul homme rêve, ce n'est qu'un rêve. Mais si beaucoup d'hommes rêvent ensemble, c'est le début d'une nouvelle réalité." F. Hundertwasse.

Maïa ALONSO précise et je lui laisse le dernier mot

... C'est à tout ce peuple bigarré, disparate, chaleureux, hospitalier, au sang chaud, au verbe haut, mêlant dans le respect les trois religions monothéistes, que je dédie ces chapitres ...

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